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DESCENTE AUX ENFERS.

Que je précise...

Les murs du château sont terriblement épais d'apparence parce qu'ils sont doubles. Se composent de deux parois écartées d'une quarantaine de centimètres, constituant un passage inutilisable par mon cher Carlos, non plus que par l'ex-chancelier Kohl ou Mme Windsor, reine du Royaume-Uni de son métier.

Nous nous y déplaçons de profil, ce qui accroît l'interminabilité de notre cheminement. Ça pue le salpêtre et le squelette négligé. Ce conduit descend en pente douce vers, je le suppose, quelques oubliettes réellement oubliées. Nulle meurtrière pour proposer un peu de jour et renouveler l'air. Il fait sombre, nous respirons mal.

Tout en arquant, je songe qu'il est également impossible au fakir Cochonnet d'emprunter ce boyau.

Ça déclive de plus en plus. Nos semelles ripent sur des dalles trop polies pour être honnêtes. Parviendrons-nous un jour au terminus de ce trajet infernieux ?

Oui, puisque le noir est soudain troué de lumière ; la pente se calme, le tunnel s'élargit.

Nous débouchons dans une salle basse comme on en voit dans des films d'épouvante chargés d'effrayer les soubrettes portugaises, les dames patronnesses abordant leur troisième ménopause et les enfants britanniques qu'on punit encore du cachot noir. Le lieu est éclairé par des torches fichées dans des anneaux conçus pour. Clarté pauvrette et fuligineuse.

Nous nous arrêtons, essoufflés, le corps endoloré par notre marche en crabe, le regard meurtri biscotte l'obscurité.

Je fais front au Moudu qui nous guide.

- Où sont-elles ?

- Là-bas.

Il désigne une extrémité voûtée, plus sombre que le reste de l'endroit.

Alors que nous nous y dirigeons, deux silhouettes fantomatiques s'avancent. Des femelles en haillons, hâves, aux têtes cadavériques, aux regards creux et morts.

- Qui sont ces êtres ? m'enquiers-je.

Notre mentor éclopé répond :

- Les gardiennes !

Gardiennes de quoi ? De l'enfer ? Gardiennes de la mort ? Des prisonnières, plutôt ! Exsangues, titubantes, n'ayant plus de réel visage humain. Pitoyables ; l'on a du mal à les imaginer en surveillantes d'individus plus démunis qu'elles.

- La petite fille ! La petite fille, croassé-je 20.

- Et la femme noire ! renchérit Jéré.

C'est qu'il pense à son brancard, lui !

Les malheureuses épaves n'ayant pas l'air de piger, nous les écartons. Fonçons vers le fond des « oubliettes ».

Là : des cages !

Tu me lis bien, Lucien ? Des cages, comme dans des chenils, d'où s'exhale une puanteur excrémentielle. M'en approche à m'écraser le mufle contre les barreaux.

Je t'ai dit la chicheté de l'éclairage. Nos yeux s'accoutumant aux pénombres les plus mélasseuses, je finis par distinguer, dans ce cul-de-basse-fosse, une foule de malheureux dont un être cadavérique, émacié comme un Christ d'ivoire et - tiens-moi bien - vêtu d'un uniforme en loques.

Pas banal, non ?

Examinant le prisonnier avec un max d'attention, je découvre qu'il s'agit du général Godefroi Haumiche, chef d'état-major de l'OTAN, enlevé voici deux ans et mèche lors d'un déplacement en voiture (son chauffeur avait été abattu d'une bastos dans la mansarde). L'affaire fit un foin du diable. Les autorités gouvernementales s'étaient attendues à une demande de rançon, mais personne ne se manifestant, on oublia progressivement ce mystère.

Et l'officier supérieur est là, réduit, égrotant, momifié avant la mort !

- Courage, mon général ! lui lancé-je. Votre calvaire prend fin !

Il ne bronche pas mais entonne d'une voix à peine audible Le Régiment de Sambre et Meuse, ce qui lui déclenche une quinte de toux.

Pendant ma brève halte, Blanc a passé les autres cages en revue ; il y en a une dizaine.

- « Elles » ne se trouvent pas ici, dit-il, anéanti. Nous sommes arrivés trop tard !


[San Antonio – 174] – Lâche-le, il tiendra tout seul
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